Présentation des musiques liées au théâtre : Jôruri, Kabuki, Bunraku, Nô et orchestre du Geza
(Légende de la photo à droite : Scène de Kyôgen, interludes comiques présents dans les représentations du théâtre Nô. Photo prise par Tanja au Gion Corner, théâtre situé dans le quartier Gion de Kyôto et réputé pour sa pratique des traditions.)
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4) Jôruri - 浄瑠璃
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Les Jôruri sont un ensemble de textes destinés à être récités ou psalmodiés et qui ont connu divers destins : accompagnés dans un premier temps de la musique dun biwa, puis dun shamisen, ils sont par la suite devenus la base de genres théâtraux tels que le Bunraku et le Kabuki.
Historique :
Lorigine des Jôruri vient des conteurs ambulants contant des légendes tirées du Kojiki et du Nihonshoki en saccompagnant du biwa dès le 8ème siècle. Leur nom vient de ladaptation en musique au 15ème siècle par un joueur de biwa renommé de louvrage Jôruri Monogatari, laccompagnement délaissant à présent le biwa. A la même période, on associe à ces contes musicaux des spectacles de marionnettes, qui faisaient alors office de propagande religieuse, illustrant des épisodes de la vie de Buddha ou des saints. Cette forme de théâtre de prosélytisme appelée Sekkyô céda rapidement la place aux Ningyô-Jôruri, conteurs de récits profanes dérivés de la déclamation épique née au 13ème siècle et qui trouvait son incarnation dans les joueurs de heike-biwa (cf. présentation du biwa). Ces spectacles de poupées animées deviendront le théâtre Bunraku, dont le répertoire sera rapidement repris par le théâtre Kabuki.
Formation musicale :
Le Jôruri est un type de récitation modulée. Celle-ci est dabord ponctuée de coups déventail ou accompagnée au biwa, puis on préfère laccompagner au shamisen. Chaque école développe son propre style de Jôruri, tant dans les différences instrumentales que dans les variations du climat musical ou que pour les techniques vocales.
Les types de Jôruri pouvant toujours être entendus de nos jours sont ceux qui se sont développés avec les musiques de théâtres : Gidayû, Tokiwazu, Kiyomoto
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5) Musique du Nô - 能
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Le Nô est, avec le Kabuki, la forme musicale japonaise la plus connue de par le monde, étant défini en fait comme un genre musical dramatique. Il ne sagit pourtant là pas de théâtre à proprement parler, mais plutôt dune fusion de différents arts, musique, scène, chant et danses : il sagit donc plutôt dun art synthétique. Il est pour beaucoup la quintessence de lesprit scénique japonais, malgré une réputation de difficulté daccès tenace, car justifiée.
Historique :
Il est difficile de dater précisément lapparition véritable de ce genre, car il sest en vérité formé par diverses influences, apports tant musicaux que du domaine de la danse. Le mot même de Nô est une abréviation pour Sarugaku no Nô, genre populaire dérivé de spectacles chinois introduits sur larchipel dès lAntiquité. Cest aux 14e et 15e siècles que le Nô gagne en popularité, devient le spectacle favori de laristocratie et prend la forme quon lui connaît aujourdhui, sous la direction de deux auteurs compositeurs, Kan-ami et son fils Zen-ami, patronnés par le Shôgun Ashikaga alors en place. Ils fourniront notamment environ 200 drames sur un répertoire de 2000. Peu dévolution depuis, le genre se suffisant dans sa volonté de perfection scénique.
Formation musicale :
Elle repose sur trois instruments : une flûte, la nô-kan, et trois tambours, les ko-tsuzumi, ô-tsuzumi et taiko. La flûte se permet desquisser parfois des mélodies, mais ne soutient pas le chant : elle est le vecteur de motifs musicaux codifiés qui ponctuent laction du drame joué (rythme de la danse qui commence, délimitation des différentes parties de la pièce
). Les tambours sont utilisés pour marquer la mesure et garder le rythme, mais eux non plus naccompagnent pas, ils se contentent de formules rythmiques, ce rythme qui est donc le cur musical du Nô.
Un chur de récitants est présent, en plus des acteurs masculins qui déclament leur texte sous forme de chant ou de psalmodies. Le chanteur et le chur chantent séparément, et sils sont réunis, cest toujours dans lunisson. Il y a une grande facilité, somme toute très japonaise, à glisser du parlé au chanté : le chant du Nô fait dailleurs appel aux techniques du chant et de la pseudo-narration bouddhiques.
A cela sajoute les phases de silence, appelés ma, qui revêtent un rôle des plus importants dans laction jouée, le spectacle sappuyant totalement sur les expressions dansées des acteurs.
La structure musicale des pièces tient généralement en trois à cinq actes, séparés par des intermèdes comiques appelés kyôgen. Bien que variable, elle épouse souvent le schéma bien défini du jo-ha-kyû (introduction exposition dénouement), tant dans la musique que pour le chant des acteurs ou des churs.
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6) Musique du Bunraku - 文楽
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Le mot Bunraku désigne les spectacles traditionnels de marionnettes, qui sont à lorigine du théâtre Kabuki. Il sagit en fait plus précisément de récitations de Jôruri sur un accompagnement au shamisen, tout en illustrant le conte par des marionnettes, doù leur ancienne dénomination de Ningyô-Jôruri (ningyô signifiant la poupée, et par extension, la marionnette). Le nom actuel de Bunraku vient dune salle spécialisée dans ces spectacles, le Bunraku-za.
Historique :
On suppose que les premières représentations de Bunraku ont eu lieu dès le début du 17ème siècle. Cest à cette époque en effet que Takemoto Gidayû, associé au dramaturge Chikamatsu Monzameon, écrit quantité de pièces du genre, léguant son nom à la musique de ces théâtres. Le répertoire du Bunraku est en effet fortement dominé par le Gidayû, qui va simmiscer par la suite dans le Kabuki, genre qui supplante rapidement le Bunraku dans le cur du public. A la fin du 18ème, malgré louverture à Ôsaka du théâtre Bunraku-za, la concurrence du Kabuki ne laisse que peu de place au Bunraku, et le Kabuki sest par ailleurs approprié la majorité du répertoire musical du théâtre de marionnettes.
Caractéristiques et formation musicale :
Lorchestre du Bunraku pour le répertoire du Gidayû est limité à la présence du shamisen et dun chanteur-narrateur. Ses autres formes peuvent éventuellement inclure un orchestre de Geza (cf. Geza). La voix fait parler et vivre les poupées, tandis que le shamisen est chargé de guider, de rythmer laction et de synchroniser la musique aux mouvements des marionnettes. Pour le narrateur-chanteur, le Gidayû est un exercice des plus ardus : il faut combiner jeu dacteur, mimiques faciales et gymnastique vocale. Laction comme la musique sont des plus turbulentes et mélodramatiques, expression directe de la passion et du tempérament japonais. Le shamisen sappuie sur des motifs types, et lon distingue nettement trois registres de vocalisation : parties instrumentales, parties narratives appelées kotoba, sans accompagnement de shamisen ; parties lyriques, fushi, dintense émotion ; enfin, narrations rythmées par le shamisen, appelées ji.
A lheure actuelle, on présente toujours des pièces classiques au Bunraku-za, ainsi quau Théâtre National de Tôkyô.
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7) Musique du Kabuki - 歌舞伎
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Le Kabuki est, avec le Nô, lune des formes majeures du théâtre japonais, et se veut également une fusion de différents arts : le mot même se compose de caractères signifiant chant (ka), danse (bu) et technique (ki). Dans le domaine musical, limportance est donc donnée à la narration et au récitatif, dont la musique est laccompagnement. Le Kabuki hérite également de diverses influences musicales, principalement de celle du Bunraku, et donc également de celle du shamisen.
Historique :
La première référence au Kabuki remonte à 1603, première année de lépoque Edo, dont il devient la forme théâtrale favorite. Le genre est né de linitiative de danseuses et chanteuses qui se sont certainement inspirées darts populaires. Sagissant pour la plupart de prostituées occasionnelles, ces actrices furent interdites de scène, et on les remplaça tout dabord par de jeunes garçons, puis par des hommes exclusivement, dont certains se grimaient pour jouer les rôles féminins (les fameux Onnagata). A la fin du 18ème siècle, les pièces se diversifient, sous linfluence dauteurs spécifiques. Après une période de déclin au début du 20ème siècle, le Kabuki retrouve une grande popularité après-guerre et les pièces sont de nos jours toujours représentées dans des salles spécialisées.
Influences et caractéristiques :
Comme déjà précisé, la musique du théâtre Kabuki est au service de la voix et du chant, et la musique vocale peut déjà se distinguer entre deux catégories. La première, Utamono (les choses chantées), se concentre sur le rythme et la mélodie, il sagit de la musique lyrique du shamisen, en général. La seconde, Katarimono (les choses racontées) sappuient davantage sur le texte.
Les apports sont divers : ils commencent avec la technique du shamisen, dont il a dabord adopté les genres kumi-uta (des chants populaires de la région dÔsaka) et ko-uta (de courts chants modernes), avant de les amplifier en naga-uta, des chants longs, qui constituent par la suite le cur même du Kabuki. On y retrouve trois chanteurs, un principal (parfois en solo, pour les passages dramatiques) et deux secondaires, ou les trois en chur. Ces voix sont soutenues par un orchestre proche du Nô, que lon nomme hayashi. Il est constitué du shamisen, dune flûte à sept trous, de deux tambours du Nô (ô-tsuzumi et ko-tsuzumi) ainsi que du taiko. Il sagit dailleurs du seul genre du Kabuki à faire usage dautres instruments que du seul shamisen.
Linfluence du Bunraku est également indéniable, et toutes les pièces provenant du théâtre de marionnettes sont classées sous le genre Gidayû (cf. Bunraku), sorte de transposition par des acteurs vivants de pièces écrites pour des poupées. A lexception de certaines pièces dansées, laccompagnement du Gidayû comprend deux interprètes : un joueur de shamisen et un récitant, association nommée chobo. De cette forme de Jôruri sont nés deux courants au Kabuki : le Tokiwazu et le Kiyomoto. Le premier est utilisé pour accompagner les pièces dansées, et se veut un compromis entre mélodie et texte empreint de passion et de nostalgie. Le Kiyomoto sest développé à partir du Tokiwazu, apportant des innovations dans sa construction par lapport de chansons populaires du temps. Laccent principal est cette fois mis sur la mélodie, et il est employé encore une fois pour les pièces dansées.
Enfin, le Kabuki partage avec le Bunraku lemploi de la musique de Geza, un orchestre « de coulisse » à ambiance (cf. Geza).
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8) Geza - 下座
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Orchestre dissimulé au public, la musique de Geza est présente au Bunraku et au Kabuki. Il sagit dun élément musical important qui est chargé de transmettre les atmosphères dune pièce : elle possède donc un caractère expressif indispensable. Il sagit dassurer les effets sonores, les bruits qui soulignent laction, les mélopées qui situent laction ou le personnage.
Lexercice de style que représente la musique de Geza est une tradition qui sest surtout développée et codifiée vers la moitié du 18ème siècle.
Formation musicale :
Les instruments sont divers et nombreux, avec une grande dominance des percussions. On y trouve des tambours (lô-daiko, qui domine linterprétation, évoquant les différents éléments naturels selon son attaque, mais aussi lokedo, le daibyoshi, ke gakudaiko, luchiwadaiko
), des cloches (hontsurigane, orugoru, rei
), des cymbales (dora, soban, atarigane
), un xylophone (le mokkin) ou encore des claquettes et castagnettes, le hyoshigi étant par exemple lune des signatures musicales du Kabuki, rythmant louverture et la fin de laction de chaque scène.
La codification des différents instruments permet dévoquer facilement les différents tableaux du drame joué : tambours pour les moments de tension et le danger, la nuit et les voleurs ; les flûtes pour la nature et les paysages ; les appeaux pour évoquer la saison de lautomne