Live Report

Keiji Haino - Live report - 31/10/08 au Centre Pompidou, Paris

13/12/2008 2008-12-13 12:00:00 KoME Auteur : Jerriel

Keiji Haino - Live report - 31/10/08 au Centre Pompidou, Paris

La voix des ténèbres


© Keiji Haino
A l'instar de Corrupted, dont nous vous avions déjà parlé il n'y a pas si longtemps, Keiji Haino est invité à se produire sur scène dans le cadre du festival In Famous Carousel consacré aux musiciens performers. Keiji Haino, l'un des vétérans de la scène psychédélique et expérimentale nippone, multi-instrumentiste et évoluant constamment dans la recherche de la sublimation du son, nous livre le 31 octobre au Centre Pompidou de Paris une bien fascinante représentation, mystique et intensément physique.

Ce n'est pas moins de quatre artistes qui sont conviés ce soir-là à nous faire pénétrer dans leur univers imaginaire et merveilleux. La coréenne Kang Yun Ahn, affublée d'une énorme poupée de chiffon dans le dos, déambule dans les couloirs et dans la grande salle de représentation du Centre Pompidou en accrochant des stickers de toutes sortes dans le dos des gens. Ses vidéos expérimentales, nous faisant part de ses flâneries dans plusieurs pays, sont projetées sur l'écran de la salle à plusieurs moments de la soirée. Avec des journaux, de la pâte à mâcher et une bonne dose de fantaisie, elle nous délivre sur une musique pop ingénue les promenades d'une princesse fantasmagorique et solitaire, tentant d'interpeler le passant en le confrontant à des figures folkloriques locales transfigurées par la globalisation et devenues stéréotypes.

Le deuxième hôte de la soirée, INTERNET2, est un arlequin espagnol encapuchonné, facétieux et bondissant, qui sur le modèle des troubadours d'antan, conte les aventures extraordinaires d'un personnage mystérieux à qui un piano midi gigantesque confère des pouvoirs magiques. Le piano en question, un tapis fait de bric et de broc posé à même le sol et raccordé à un ordinateur portable, émet une musique techno-pop minimaliste lorsque l'on marche dessus, et l'énigmatique bateleur barcelonais n'aura de cesse d'en sautiller sur les touches tandis qu'il souffle dans sa clarinette. Une cabriole sûrement improvisée a même pour résultat de le faire marcher sur l'ordinateur posé près du piano, ce qui fait stopper net la programmation de l'instrument. Le bon gros silence empreint d'embarras du monsieur tandis qu'il reboote la machine ne peut absolument pas couvrir les rires moqueurs de l'assemblée. Plusieurs spectateurs sont ensuite invités à le rejoindre sur scène et à piétiner l'instrument avec lui dans une sorte de farandole improbable entre jeu de marelle et entraînement militaire de parcours d'obstacles. Un grand moment de joyeux et rafraîchissant n'importe quoi.

La prochaine musicienne à se produire est BISHI, une britannique d'origine indienne, chanteuse, multi-instrumentiste et DJ. A l'étonnante intersection entre Kate Bush et Ravi Shankar, BISHI, vêtue ce soir d'une imposante robe dorée, livre une agréable musique pop au chant clair et aérien, soutenue par une instrumentation typiquement indienne, avec sitar et tablas. Une bonne surprise.

Le clou de la soirée est cependant sans conteste l'incroyable Keiji Haino qui prend place sur scène pendant la projection d'une ultime vidéo de Kang Yun Ahn. Appuyé par la simple lumière d'une lampe torche, il traficote les câbles d'un appareil posé au sol entre trois enceintes qui s'avèrera plus tard être un sampler actionné par pédales. Le chaman Haino est décidément un être pas comme les autres, et en insérant ses câbles de-ci de-là il parvient (à avoir accès à la régie centrale ?) à contrôler le son de la vidéo projetée derrière lui, puis à le couper, avant de disparaître à nouveau en coulisses. Impressionnante démonstration involontaire de charisme, sans n'avoir encore rien fait d'autre que de préparer le matériel.

La scène prête, équipement minimaliste déployé (une chaise, un micro, un sampler), Keiji Haino réapparaît dans la pénombre et vient se placer bien droit face à son micro. Entièrement vêtu de noir comme à son habitude, affublé de ses sempiternelles lunettes de soleil lui mangeant la moitié du visage, l'ange des ténèbres pousse une première série de longues plaintes aigües, parfois à la limite du supportable, allant jusqu'à faire siffler les enceintes d'une bien curieuse façon. Haino dit s'emparer de l'air sur scène avant de le recracher. Par les vibrations qu'il émet, il maintient le spectateur dans le présent de l'ici et maintenant en lui faisant redécouvrir la consistance de son environnement physique direct et réel. Jamais une description aussi obscure n'aura pourtant été si juste. Keiji Haino sait parfaitement ce qu'il veut faire éprouver, et il connaît exactement les moyens pour le mettre en oeuvre. Il a pleinement conscience du pouvoir de sa voix et estime au mieux quelles sont les sensations qu'elle permet de procurer. L'atmosphère est véritablement moite, et nous nous retrouvons complètement en prise avec cette voix à la fois trop limpide et écrasante, qui emplit complètement l'air de toutes parts, pour qu'elle soit émise par un simple être humain.

Après s'être assis un infime instant sur la chaise, lui préférant finalement la surface vaste et plane du sol, plus tangible, le mage ténébreux murmure d'obscures incantations d'une voix caverneuse entrecoupées de borborygmes bouillonnants et de sifflements stridents. Ces sons convoquent toute une série d'anciens rituels folkloriques surgis de l'invisible. Tour à tour chaman amérindien, bonze bouddhiste ou noir disciple du Démon, Keiji Haino endosse différentes identités mystiques et nous aspire dans un trou noir où règnent les puissances insaisissables du chaos. Passé, présent et futur semblent se mêler inconditionnellement dans l'espace ceint de la salle en une écrasante réalité actuelle qu'il est bien difficile de rendre compte par les mots. Un peu à la manière d'un hypnotiseur au charme ultime, Haino ouvre les portes d'un nouveau subconscient collectif où les corps et individualités éparses que nous sommes ne formeraient plus qu'une même entité, partageant les mêmes rêves et cauchemars, guidés par le fil conducteur de sa voix venue d'un autre monde et qu'il convient de suivre afin d'appréhender cette réalité sous-jacente dont nous n'avons pas conscience ordinairement. Une bien belle promesse que voilà, le chaos invisible maîtrisé et transfiguré en harmonie, devenant réalité le temps d'une prestation. Le sortilège lancé par Haino ne marche pourtant pas sur tout le monde, et de nombreux spectateurs préfèrent plier bagages et retourner à la réalité extérieure qu'ils connaissent mieux, celle d'une vie pratique au chaos bien tangible celui-là, celui de la circulation et du métro. Tant pis pour eux.

Keiji Haino se relève comme un fou furieux et déblatère caquètements et cris désordonnés entrecoupés de silences fugitifs mais terriblement pesants. La salle toute entière résonne, bourdonne, vibre, et le grand manitou se jette de nouveau à terre sur le sampler qu'il maltraite et fait siffler de manière discontinue. Il en actionne les pédales pendant le flot de sons qu'il émet et bientôt sa voix se retrouve dédoublée. Le sampler diffuse en boucle des bribes de grognements et de hurlements éructés quelques instants auparavant, sans cesse intensifiés et formant bientôt un son unique d'une improbable et oppressante consistance. Puis tout s'arrête net. Après un silence de quelques secondes d'une incommensurable lourdeur après ce déluge de sons, qui, aussi contradictoire que cela puisse paraître, se retrouve encore plus agressif que tout ce que nous avons entendu jusque-là, Keiji Haino pousse un ultime cri avant de remercier rapidement son public et de s'éclipser aussi rapidement qu'il était arrivé. La salle émerge lentement de l'épais brouillard qui l'envahissait jusqu'alors et applaudit de manière tonitruante l'incroyable prestation du frêle petit homme vêtu de noir, pourtant capable de la plus grande sorcellerie.

Keiji Haino nous a livré là un véritable moment d'intenses vibrations, un spectacle extraordinaire comme très peu d'artistes sont capables de réaliser dans le monde. Le temps s'est réellement éteint le temps d'une prestation, le présent étant tout entier là, actuel, annihilant complètement tout événement passé ou à venir. Pour preuve, je n'ai absolument aucune conscience du temps passé face à la performance. Trente minutes ? Quarante-cinq ? Plus ? Je n'ai même pas pu le savoir en consultant ma montre (bon d'accord il faut dire que je n'avais pas regardé l'heure à laquelle est entré Keiji Haino sur scène, du coup connaître juste l'heure de fin de la prestation n'amène à rien).

Avec les performances des trop rares et discrets Corrupted et Keiji Haino, la programmation de spectacles proposée par In Famous Carousel aura été un excellent cru pour les amoureux de musiques extrêmes et expérimentales japonaises. C'est avec impatience qu'on en attend maintenant la prochaine édition !
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