I&I DJANGDAN est l'un des rares groupes de reggae/bud en Corée. Après la sortie de Culture Tree au début de cette année, I&I DJANGDAN prend le temps de parler musique et surtout de son futur sur la scène du reggae coréen.
Pouvez-vous vous présenter s'il-vous-plaît ?
Francois : Nous sommes I&I DJANGDAN, la première génération de musique dub en Corée.
Comment vous êtes-vous rencontrés et qu'est-ce qui vous a décidé à former ce groupe ?
Francois : J'ai rencontré Bang-jan dans un club où nous avions joué tous les deux quelques années plus tôt. J'avais choisi le reggae depuis que j'étais arrivé dans le pays et Bang-jan était le leader du seul groupe de reggae connu en Corée du sud : Windy City. Notre intérêt mutuel pour ce style musical nous a forcément lié, ce n'est pas tous les jours que l'on trouve quelqu'un qui aime ce genre de musique ici. Le reggae et la musique rasta sont particulièrement récents en Corée.
Nous nous sommes retrouvés plus tard au studio et il s'est mis à jouer de la batterie alors que je me chargeais du mixage. Ce fut la création de I&I DJANGDAN.
Quelle est la signification du nom du groupe ?
Francois : « I&I » veut tout simplement dire « nous ». Il s'agit d'un patois jamaïcain. Nous aimions beaucoup le fait de dire « nous » car cela inclut que le groupe est constitué de deux individus différents, ce qui le rend spécial.
« DANGDAN » veut dire « rythme » en coréen. Notre nom veut donc tout simplement dire « notre rythme ».
Le reggae/dub ne semble pas vraiment être un style de musique connu dans l'industrie musicale coréenne, comment avez-vous découvert ce genre et pourquoi avez-vous décidé d'en jouer ?
J'ai découvert la musique reggae il y a environ 15 ans lorsque ma soeur écoutait Bob Marley dans sa chambre. Après quoi je passais des heures collé à la chaîne hifi de mes parents en écoutant Bob Marley, Burning Spear, Isreal Vibration et d'autres artistes de reggae. Depuis ce jour, je me suis toujours senti proche des paroles et des personnalités des rastas. Même plus, j'étais très impressionné par le fait que même si cette musique datait des années 70 elle était encore très réaliste. Pour moi, la musique reggae a été une influence très importante.
J'ai décidé de me mettre à la musique quelques années plus tard lorsque j'ai acheté à un ami une boîte à rythme et un vieux clavier. Puis j'ai eu un vieil ordinateur et j'ai réalisé tout le potentiel de la musique software. C'est à partir de ce moment-là que, petit à petit, j'ai commencé à me construire mon propre studio chez moi.
Quels artistes vous ont inspiré ?
Francois : Et bien, Bob Marley, évidemment, ainsi que King Tubby, Augustus Pablo, Johnny Clarke, Sugar Minott, Earl Chinna Smith en plus de tous les excellents artistes jamaïcains. Il y a également Lee « Scratch » Perry car il travaille d'une manière très spéciale que ce soit au niveau technique ou spirituel. Les gens disent qu'il est un peu fou mais je pense qu'il est plus proche du génie que de la folie. Il a énormément innové dans le domaine de l'enregistrement et de la technique, on pourrait vraiment le qualifier de précurseur.
Nous sommes également très attirés par la musique dub du Royaume-Uni comme Jah Shaka, Aba Shanti I, the mighty Iration Steppas, Conscieous Sounds, Vibronics, Zion Train, etc. Tous passent par le processus de la numérisation mais ça reste la continuité du travail des jamaïcains. La première fois que j'ai vu Aba Shanti I ou bien Iration Steppas, le live était un moment très important pour moi. La manière dont ils contrôlaient leur son et rendait la basse « physique » m'a complètement scotché. C'est dans ces moments là que l'on peut ressentir la musique et pas seulement l'écouter.
Comment est accueilli votre style musical en Corée ? Y a-t-il un grand engouement pour le reggae et la musique dub ?
Francois : Notre musique est assez bien accueillie ici bien qu'elle ne soit pas populaire. De temps en temps nous avons la satisfaction de voir des visages très surpris en train d'apprécier nos performances. Il n'y a pas encore un grand engouement pour ce style musical mais nous nous rendons compte que cela s'accélère.
Au lieu de simplement suivre l'exemple des autres groupes de dub, vous avez également fait différents mixages d'influence coréenne. Pourquoi cette décision, était-ce pour tenter de rendre votre musique plus accessible et plus familière à l'audience coréenne, ou y a-t-il une autre raison ?
Francois : Nous avons fait ce choix car nous aimons réellement la musique coréenne traditionnelle ainsi que le dub. Personnellement, l'idée m'est venue lors de mon arrivée en Corée lorsque ma femme m'a envoyé un CD de musique traditionnelle. A ce moment là j'aimais beaucoup la « musique du monde » et je pensais que ce genre musical existait déjà en Corée mais sous le nom de « fusion », ce qui ne me plaisait pas particulièrement. Même si j'aime la musique traditionnelle je pense que la « fusion » est un mix de différents éléments sans que ça n'aille bien loin.
Jang-Goon, vous chantez souvent dans le style de la musique traditionnelle coréenne. Comment avez-vous appris à chanter de cette façon ? Qu'est-ce qui vous a décidé à combiner ce style avec le reggae ?
Jang-Goon : Lorsque j'étais petit, je suis allé dans un institut spécialisé dans la musique traditionnelle coréenne. A ce moment là je pensais qu'il serait très instructif et avantageux d'apprendre à bien chanter le pansori. Depuis ce jour là, je l'ai étudié jusqu'à l'université. Désormais j'en apprend encore plus à propos du pansori depuis que je m'y consacre réellement.
Je pense que j'ai commencé à me rapprocher des gens et de la musique ces dix dernières années, c'est ce qui m'a donné envie de combiner mon style avec d'autres genres.
Francois, du fait que vous soyez le seul membre du groupe non coréen, pensez-vous apporter une certaine influence ?
Francois : Je pense que l'influence principale que j'apporte est la culture Rastafarian car j'y suis plongé depuis plus de dix ans. La musique est la manière qu'ont les rastafarians afin de pouvoir se faire connaître en dehors de la Jamaïque. C'est donc vraiment bien que l'on puisse continuer à en parler de cette manière.
Avant les débuts du groupe, j'avais pour habitude de sélectionner des morceaux de dub que je mixais avec des flûtes traditionnelles en accordant les instruments. C'est à ce moment là, lorsque j'ai mixé le tout avec du reggae, que j'ai réalisé le potentiel des racines coréennes et de la musique traditionnelle. Mais techniquement, la principale influence que j'apporte est le dubwise. Je mixe les sons live de tous les membres, selon le modèle des premiers maîtres du dub jamaicaïns, comme Lee " scratch" Perry ou King Tubby, tout en ajoutant des extraits.
Être le seul membre non-coréen est une bonne chose, en particulier parce que je dois communiquer et comprendre au travers de la musique, car la plupart du temps les autres membres discutent en coréen. C'est grâce à ce genre de chose que je ressens la musique comme étant quelque chose d'universel. Celui qui la ressent la connaît !
Ban-Jang, en tant que membre de Windy City, vous êtes parvenu à apporter au reggae une large audience, comment ressentez-vous le fait d'avoir accompli cet exploit ?
Ban-Jang : Je ne dirais pas que j'ai accompli un quelconque exploit dans le domaine de la musique reggae en tant que musicien ou messager, du moins pas encore. La scène du reggae coréen vient tout juste de naître et je suis très fier de faire partie de ce mouvement musical depuis maintenant 8 ans étant donné que j'étais déjà dans un groupe de reggae nommé Bus-riders. Il y avait, et il y a toujours, quelques musiciens de reggae mais il s'agirait plutôt d'une tendance et non d'un message à faire passer. Je dirais même honnêtement qu'ils ne connaissent rien au reggae. Le reggae est le futur de la musique de notre génération.
La Corée est le premier pays à ne plus porter attention à ses racines et à ses traditions et c'est pourquoi la Corée a besoin du reggae. Je le ressens de plus en plus et dans quelques années j'y repenserai. Le Reggae, le dub et I&I DJANGDAN possèdent le son du passé, du présent et du futur. Les arbres contiennent toute la nature, tout comme notre musique.
Peu importe si vous jouez du reggae, de la salsa ou un autre genre musical, notre musique contient un message et une harmonie. Il est trop tôt pour parler du résultat, mais désormais, c'est lancé.
Quand on se penche un peu sur les vieux sons de reggae on découvre de nombreux thèmes comme la misère, l'oppression, la discrimination et bien d'autres issues sociales qui étaient importantes en Jamaïque dans les années 70 lorsque le reggae était développé. D'un autre côté, la Corée avait un fond complètement différent, mais vous montrez des symboles typiquement jamaïcains et propre au reggae sur vos sites. Étant donné que la culture est très différente, quel sens a, pour vous, le reggae ?
Francois : Bien qu'aujourd'hui, la Corée a un tout autre contexte comparé à la Jamaïque des années 70, nous pouvons toujours trouver la pauvreté, l'oppression et la discrimination tout autour de nous. C'est juste vu d'un angle différent.
Vivant en Corée, je vois que le développement et la situation économique bougent très rapidement, mais la pauvreté ici n'est pas vraiment une question d'argent (même si il y a des pauvres). Je pense que la pauvreté ici touche surtout l'identité et la culture en général . Ça ne concerne plus vraiment l'argent. L'oppression et la discrimination sont bien sûr également présentes de nombreuses façons, même si elles sont très différentes de celles que les Jamaïcains ont vécu dans les années 70 et celles qu'ils connaissent aujourd'hui.
Je pense que le but du reggae est de parler des différents problèmes et de toutes sortes d'injustices auxquels les gens sont confrontés dans le monde entier. La musique Rasta ne parlait pas seulement aux Jamaïcains, même si elle vient de là. Beaucoup de gens dans différents endroits à travers le monde ont été touchés par son message, même s'ils étaient complètement différents les uns des autres. Il s'agit d'un message universel, dont les principales lignes directrices sont les mots et l'histoire de Haile Selassie I (note: l'empereur d'Éthiopie de 1930 à 1974. Symbole du Dieu incarné dans le mouvement rastafari). Le sens du reggae est pour moi simplement l'expression de l'amour sous toutes ses formes. Il est aussi utilisé pour exprimer ce que nous pensons être mal autour de nous.
Y a-t-il des messages particuliers que vous voulez transmettre à travers vos chansons? Travaillez-vous avec les principaux messages du reggae ou avez-vous un autre message?
François : Le message rasta étant la diffusion de l'amour et de la compréhension de façon universelle, nous travaillons avec ce message. Nous nous sentons aussi concernés par la situation en Corée, politiquement, culturellement, etc.
Étant le premier groupe de dub ici, j'espère que cela montre que l'expérimentation de nouvelles choses est possible, que nous ne devons pas forcément à jouer "ce qui marche bien". La diversité dans la scène musicale coréenne en général est vraiment faible par rapport à de nombreux autres pays. Quand on regarde la programmation de quelques grands festivals, ou la scène des clubs de Séoul en général, il n'est pas facile de trouver quelque chose de très original. Notre groupe est une expression de la nécessité de trouver des choses différentes et plus variées sur la scène coréenne.
Sur votre MySpace vous avez écrit sur des thèmes politiques tels que les puces sur les passeports. Luttez-vous pour le changement politique à travers votre musique ? Si oui quel pouvoir pensez-vous que la musique ait sur la politique ?
Francois : Bien sûr, je souhaite un changement dans la politique. Si notre musique peut y contribuer à 0,000000001% alors je considèrerais ça comme une petite victoire. Je ne pense pas que la musique exerce beaucoup de pouvoir sur la politique, mais elle peut avoir une certaine influence sur les gens, qui peuvent avoir du pouvoir sur la politique.
La musique rasta en général ne traite pas de la politique ( « poli-tricks»), mais plus d'idées spirituelles et de différents "raisonnements". Elle peut être très politique mais d'un autre point de vue.
Concernant le post sur les puces sur les nouveaux passeports coréens, je pense que c'est le genre de chose qui peut être effrayant si ce genre d'idées vont plus loin. Il y a de plus en plus de contrôles. Par exemple, la dernière fois que je suis allé au Japon, j'ai été très surpris de voir qu'à la vérification des passeports il y a maintenant une impression numérique et des photos. Je n'ai jamais eu à me sentir coupable dans ce genre de lieux, mais ces pratiques me poussent à me demander "Ne suis-je vraiment pas coupable?!"
Je sais que scientifiquement la biotechnologie (technologie pour le corps) est techniquement prête et j'espère que les micro-puces sur les passeport n'y conduisent pas parce qu'alors nous serions complètement sous le contrôle, de je ne sais pas quoi. Peut-être que dans le futur, nous aurons besoin d'avoir une puce sous la peau par exemple. Parfois, la science-fiction est si proche de la réalité.
Vous avez récemment sorti un nouvel EP, Culture Tree. Pourriez-vous nous en dire un peu à ce sujet, que peuvent en attendre les gens?
Francois : L'EP Culture Tree est le premier dub enregistré en Corée, nous avons enregistré Inna dub tradition, avec des effets analogiques et des mix. Les gens peuvent s'attendre à entendre des sons inter-culturels et des expériences dans la relation entre le dub et l'influence de la musique traditionnelle coréenne.
Quel a été le processus de composition de la chanson ? Écrivez-vous vos chansons d'une certaine façon ?
Francois : Nous créons nos nouvelles chansons en improvisant. Nous improvisons, enregistrons, choisissons les bonnes parties, en discutons puis on commence à les arranger.
Si vous deviez choisir une seule chanson pour présenter le groupe, laquelle de Culture Tree choisiriez-vous ?
François : Je choisirais Irie Rang, notre version de Arirang, une chanson populaire traditionnelle qui se chante de différentes façons dans la plupart des régions de Corée.
Je pense que cette chanson est une sorte d'icône de la culture coréenne. Ma femme m'a dit que la plupart des coréens adoptés dans d'autres pays connaissent cette chanson, même si ils ne parlent pas la langue. En fait, je pensais même, avant de penser à faire de notre version, que c'était l'hymne national !
Où I&I DJANGDAN se sent-il le plus à l'aise : dans le studio d'enregistrement ou en live?
François : Nous aimons vraiment les deux, mais personnellement j'aime vraiment les lives, parce que c'est à ce moment là que la musique vit vraiment pleinement. Mais les sessions d'enregistrement ont aussi leurs propres forces. Elles nous aident à produire quelque chose qui va rester très longtemps.
Que peut-on attendre d'un live de I&I DJANGDAN ? Avez-vous planifié de faire des lives à l'étranger dans le futur ?
Francois : Les gens peuvent s'attendre à sentir la culture coréenne sortir du sol, alors sautez avec elle ! Nous avons prévu de faire un live en Éthiopie en décembre et nous sommes bien sûr ouverts à jouer dans tous les pays.
Quels sont vos plans pour l'avenir?
Francois : Faire un album complet dans beaucoup de formats différents, sur certains disques vinyle 7 pouces pouvant être joués sur des systèmes de sonorisation, et nous avons également envie de jouer dans tous les pays possible.
Un dernier commentaire pour nos lecteurs?
François : Merci d'avoir lu et écoutez notre musique si vous avez un peu de temps ! Soyez bénis.
KoME tient à remercier I&I DJANGDAN d'avoir rendu possible cette interview .